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Wadad Zebib (psychanalyste) – Une rencontre – Lettre n°1 – avril 1999

Nous l’avons accueillie à trois, les deux « accueillants » et la psychanalyste. C’était la première fois.

Elle s’est laissée tomber sur une chaise vide, autour de la table où on était assis, buvant un café. D’emblée, elle s’est effondrée. Avant qu’on sache qui elle était, avant que la moindre histoire ne fût racontée. Premières paroles ponctuées de pleurs sans bruit : « Je suis à bout, je n’en peux plus. »

Elle pose, dépose l’affect qui est accueilli, recueilli. Comme une chose il prend forme, parce qu’un lieu est là, où il peut être mis. Le contenant permet l’avènement du contenu qui le crée à son tour. L’affect est posé silencieusement avant qu’il puisse être parlé.

Puis, à la manière dont on restitue les premiers témoignages d’un crime, elle commence à faire le récit de ses cancers fortement intriqués avec les événements traumatiques de sa vie. Le cancer tout seul est-il racontable ?

A cause d’une agression sexuelle, un cancer de l’utérus s’est dévoilé (ou révélé). Il a fallu que cet événement ait lieu pour que son cancer soit détecté, qu’il soit raconté. Comme si un cancer tout seul n’arrivait pas. Ce premier récit est confus, comme les premiers témoignages des récits criminels. Il n’y a pas encore de chronologie. Le présent immédiat de l’événement traumatique est signalé de manière fugace, car lui aussi est à peine racontable. On ne sait si c’est le cancer qui permet de le raconter ou l’inverse.

Ce nouage entre l’événement et le cancer, nécessaire appropriation subjective pour qu’elle puisse faire le récit de son histoire à deux accueillants et une analyste, n’est pas à entendre comme une tentative d’expliquer objectivement le cancer. Cette manière de s’adresser à l’autre, à travers ce récit, permet de mettre en évidence deux registres de la causalité radicalement différents.
– le registre des énoncés scientifiques, s’appuyant sur des liens de cause à effet démontrables, objectivables, et qui n’est pas ici notre objet. Cependant, qu’elle interroge la possibilité d’une telle causalité entre des événements traumatiques de la vie et l’apparition du cancer mérite, selon nous, l’écoute la plus attentive ;
– le registre de l’énonciation du cancer, qui s’impose lorsqu’on adresse son histoire à quelqu’un. Un nouage s’élabore alors entre les événements et la maladie. Dans le récit qui ainsi se crée, la construction d’une histoire où l’articulation entre cancer et événement introduit une temporalité, amène aussi l’idée de causalité dans l’énonciation, car temporalité et causalité cheminent ensemble.

Cette tentative de nouage permet de se soustraire au clivage imposé par une conception organique du corps.
Nous sommes ici dans le registre du sens. Le cancer ne prend sens que parce qu’à cette occasion, il arrive quelque chose au sujet.
Au terme de cette première rencontre, la nécessité, le désir d’articuler son histoire avec plus de précision l’amena à rencontrer en entretien individuel l’analyste dans le Centre.

– Pourquoi moi maintenant ?
Pourquoi en effet, après vingt-cinq ans de rémission, un nouveau cancer arrive, dans le corps de l’utérus ? Un lieu hautement symbolique pour elle.
L’origine chronologique de l’histoire, qui devient son histoire, et non plus le récit de ses cancers, commence à être repéré.
C’est une tentative de meurtre de l’enfant qu’elle fut, qui marque l’origine de son récit. Mais elle survécut. Avec toute la culpabilité de ceux qui survivent, à la fois à cette tentative de meurtre et à son premier cancer. Ce qui lui fera dire plus tard : « Lorsque ça va mieux, tout va mal. »

Cette reconstruction historique aura traversé trois temps forts :
– Celui propre au commencement. Lorsque le lieu se construit au fur et à mesure qu’elle l’occupe, qu’elle dépose son affect sans nom. Le lieu existe parce qu’elle l’habite. Parce que quelque chose d’innommable a été accueilli, a pris une forme avant d’être nommé.
– Lorsqu’elle signifie sa nécessité de mieux connaître ce qui lui arrive, temps marqué par la rencontre avec l’analyste, où elle arrive à déployer une logique énonciative de son histoire traumatique où s’inscrivent ses cancers. Ce qui frappe, c’est l’absence de plainte.
– Puis temps du désir « de faire un tour en soi » et d’entreprendre une cure analytique qu’elle poursuit, où l’affect qui fut déposé dans le Centre est reconnu, nommé dans le transfert. On est loin du cancer, mais en plein dans son énonciation psychique. Serait-elle en train de constituer le lieu psychique de son cancer ?