Une expérience thérapeutique

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Emmanuelle Pariat – Psychisme et cancer... et moi – août 2020

La période la plus difficile a été pour moi entre la découverte de mon cancer et le début des traitements. Période qui m’a semblé interminable, faite d’examens multiples, s’enchaînant les uns après les autres, avec à chaque fois quelques informations en plus. Période à trépigner en attendant le début des traitements, pressée de commencer le combat et pour autant craintive des conséquences. Cela a été une période d’incertitudes, très déstabilisante pour moi, d’autant plus que je ne me sentais pas libre d’en parler ouvertement au travail, ne sachant pas ce qu’allaient être les traitements. Curieuse de nature et avec l’envie d’anticiper la suite, je me suis intéressée à comprendre comment fonctionnait le cancer, les examens, les traitements, à réfléchir aux possibilités qui allaient certainement se présenter. Je me suis appropriée mon cancer en découvrant qu’il n’y a pas un cancer mais de multiples cancers voire chacun a son propre cancer qui n’est pas le même que celui d’un autre et chacun réagit différemment. J’en ai parlé ouvertement autour de moi d’abord dans mon cercle familial puis dès que j’ai eu une vision plus claire de ce qui m’attendait, à un cercle plus large, les collègues de bureau compris. Cela a été une libération de pouvoir en parler, enfin je n’avais plus l’impression d’avoir une double vie ! Cependant, j’ai été confrontée à différentes attitudes, ceux qui ne veulent pas aborder le sujet et qui vous laissent avec votre fardeau, ceux qui vous voient déjà mourant et ont plein de cas, des plus bénins aux plus morbides, à partager ! Ils veulent certainement me rassurer mais ne font que me déprimer. Pour être totalement honnête, j’ai également trouvé des personnes qui savent écouter et éventuellement, partager leur expérience sans compassion ni désespoir mais au contraire, avec une joie de vivre communicative. Face à ces différentes réactions je compris que je ne pouvais pas en parler si ouvertement à tout le monde et que je finissais par radoter et lasser mon entourage. J’ai senti que j’avais besoin d’élargir mon cercle de contacts, trouver des oreilles bienveillantes, qui connaissaient cette maladie mais j’avais également besoin de trouver d’autres moyens de m’exprimer pour alléger le poids qui pesait sur mes épaules. J’ai en premier contacté un psychologue de l’hôpital mais je me sentais obligée de ne parler que de mon cancer, de mes angoisses, j’avais l’impression d’être jugée, évaluée et surtout je me sentais seule. Certains me recommandaient les associations de malades sur internet, cependant j’avais besoin d’un lien plus direct. Avant mon cancer, je faisais régulièrement des activités en groupe pendant la pause de midi, natation, danse, dessin, ces activités me permettaient de me libérer des tensions. Etant trop fatiguée, par moments en immunodépression et beaucoup plus souvent en télétravail, je ne me voyais pas reprendre ces activités dans les mêmes conditions, pourtant je sentais que j’avais besoin d’exutoires.

Parmi les soins de support présentés dans les locaux de l’hôpital plusieurs m’intéressaient : la salsa, le dessin et l’écriture. La salsa pour retrouver le plaisir de bouger en rythme sur une musique ensoleillée, sans avoir la crainte d’être poussée à faire plus ou d’être mal vue en cas de fatigue. Le dessin pour la créativité qu’il permet et les images qui sont souvent, pour moi, plus parlantes que les mots. Et l’écriture plus pour tester car je me sentais plutôt une handicapée de ce côté-là, à force d’entendre ma sœur me raconter toutes ses envies de roman je me suis dit pourquoi ne pas essayer et c’était l’occasion. Après quelques semaines d’hésitations je me suis donc lancée, avec l’association Psychisme et Cancer, à la fois dans l’atelier de dessin et d’écriture. Pour la salsa, proposée par l’association Elles dansent, j’ai attendu d’être assez en forme physiquement et depuis je n’ai plus arrêté.

Avec Psychisme et Cancer, que ce soit lors des ateliers de dessin ou d’écriture, j’ai tout de suite été charmée par la liberté qui m’était proposée ; chacun se présente comme il le souhaite avec les mots qu’il choisit, je ne me suis pas sentie d’obligation de parler de mon cancer mais je constatais qu’en parler ne posait de problème à personne. Je n’avais pas besoin de détailler mon expérience, d’expliquer les mots scientifiques. Dans les deux ateliers, le texte ou le sujet proposé me permettait de me lancer, tel un tremplin il me donnait un élan, une base où poser mes mots, mes lignes. Contrairement à ce que je craignais au départ pas une seule fois je ne me suis trouvée en panne. Les débuts étaient souvent un peu hésitants, soit parce que trop d’idées me venaient en tête et je savais que je n’aurais pas le temps de tout explorer, ou bien j’avais trop peu d’idées et je craignais d’avoir fini en cinq minutes. Et puis une fois les premières images esquissées, d’autres venaient se glisser et je me surprenais moi-même à exprimer des émotions, des souvenirs que je n’avais pas anticipés. Si au début lire mon texte m’intimidait, j’avoue que par la suite j’aurais été frustrée si je n’avais pas pu le lire. A mon étonnement, les émotions ressenties pendant l’écriture ou pendant la lecture ne sont pas les mêmes. Je me suis plus d’une fois retrouvée avec les yeux humides, surprise par l’émotion, soit en écrivant, soit en lisant, et je fus rassurée de constater que cela ne posait pas de problème et ne générait pas d’apitoiement. Lors des ateliers de dessin il est proposé d’afficher son dessin et si l’on souhaite en parler on peut, par exemple, expliquer ce qu’on a voulu présenter, comment on a interprété le sujet. Une fois la réalisation présentée, texte lu ou dessin présenté, ceux qui veulent s’exprimer disent ce qu’ils voient, ce qu’ils ressentent... J’ai également apprécié ces moments de partage, les discussions à bâtons rompus en attendant que tout le monde soit arrivé, le café, le thé et les petits gâteaux partagés, ou encore les échanges sur les textes ou dessins réalisés par les uns et les autres. Pour les dessins il y avait moins de surprise car je jetais souvent un regard au travail de mes camarades. Il m’arrivait même d’être influencée par une technique, une remarque, ou des discussions.

Ces ateliers m’ont permis d’exprimer mes sentiments, de comprendre que chacun était différent face à la maladie. Je me suis sentie libre, et en confiance. Lors de ces ateliers j’avais l’impression de petit à petit déposer mes problèmes dans un coin. Moi qui pensais que l’écriture n’était pas faite pour moi, j’ai pris plaisir à écrire, à écouter les récits des autres, à constater que même si je n’éprouvais pas toujours les mêmes sentiments, les textes me parlaient. J’étais à chaque fois surprise qu’à partir d’un même tremplin les réalisations de chacun étaient très différentes, du saut de puce au saut périlleux en passant par le refus ou la libre interprétation du sujet tout aussi intéressant. J’étais même étonnée par les commentaires sur mes textes qui me faisait réaliser que j’exprimais plus de choses que je ne pensais. Dans ce lieu hors du monde, bienveillant, je me sentais libre de tout dire, de me contredire, d’être d’accord ou pas d’accord ou simplement de ne pas avoir d’avis et également libre de me taire.

L’association s’arrête, ce n’est pas pour autant que je dois m’arrêter moi aussi. Je vais bien entendu reprendre mes pauses dessin avec mes collègues dès que j’aurai repris le travail, mais ce n’est pas le même partage. J’espère avoir le courage de continuer à écrire, mais écrire quoi ? Pourquoi ? Pour qui ? Retrouver un groupe d’écriture ? Continuer à partager avec ceux et celles qui le souhaitent ? Je ne retrouverai jamais exactement la même ambiance, ceci dit d’un groupe à l’autre les relations changeaient et je suis sûre que ce que m’ont apporté mes quelques années dans ces ateliers resteront à la fois des bons souvenirs et profitables pour la lutte que je continue contre mon crabe. Merci à celles qui les ont animés et merci à tous les participants que j’ai rencontrés, qui m’ont également beaucoup donné.