Une expérience thérapeutique

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Claudine Menteau (accueillante au Centre) - Une rencontre – Lettre n°2 – avril 2000

Une porte s’ouvre, un être est là, parfois au bord de l’effondrement. Un instant où tout a de l’importance : un geste, une parole, un silence, une tasse de thé... On a beau savoir, avoir de l’expérience... Cet instant reste unique car cet être, avant ce jour, on ne l’avait jamais vu ni entendu. C’est par la forme de son cancer qu’il va se nommer, et peut-être pour la première fois de sa vie, à travers sa détresse, nous allons le reconnaître.

Ces êtres, je les ai rencontrés ; avec eux, avec elles, j’ai appris le pluriel de l’histoire dans le singulier de leur vécu. Il arrive encore qu’une image troublante résonne étrangement et fasse interférence dans les zones noires de ma mémoire, mais je suis parvenue à lire l’écriture des différents textes donnés à entendre, et à les distinguer de ma propre histoire.

Le vendredi soir, permanence de mon équipe (2 accueillantes et 1 psychanalyste), des consultantes viennent régulièrement, créant ainsi des liens, voire même une solidarité entre elles, en dehors du Centre. Avec l’une des consultantes, plus particulièrement, il m’est arrivé d’avoir des difficultés à trouver la bonne distance. Les limites étaient mises à rude épreuve. Le fusionnel réduisait l’espace. Il y avait confusion des rôles (accueillante/consultante). A ce moment-là, un être, par sa vulnérabilité, venait mettre au jour la faille, questionner ma faculté d’écoutante, et je me demandais : « qui suis-je ? » ; pour réponse, j’ai somatisé : maux d’estomac, nausées, etc. Cette situation a été déterminante pour remanier ma pratique d’écoute, ma disponibilité, pour préserver le cadre, et par là même l’espace vital pour la consultante et pour moi.
Il est bien évident, et fondamental de savoir, que cette mutation psychique est possible parce que je poursuis, en dehors du Centre, un trajet personnel avec une psychanalyste, mais aussi parce qu’une élaboration a lieu dans le cadre du Centre, en deux temps :
• d’une part, de façon spécifique, avec mon équipe du vendredi soir ;
• d’autre part, entre les accueillants et avec le soutien d’une psychanalyste, par la mise en commun de notre expérience. Au fil du temps, ce groupe est devenu porteur. La confiance et le respect mutuel ont permis à tous d’exposer, parfois avec émotion, la pratique d’un écoutant, ses peurs, son enthousiasme.
Dans ce groupe, si j’ai pu cligner des yeux à la lumière du doute, me replier à l’approche de la vérité lorsque la maladie, la mort, les deuils nous ont touchés, j’ai aussi senti un formidable espoir me traverser et me donner envie d’exister.

C’est tout cet ensemble d’éléments qui ont probablement contribué à clarifier ma place dans le Centre. Il me semble très important d’avoir fait le lien entre ma propre démarche et celle des autres. Un certain jeu psychique m’a permis de rencontrer des êtres humains, de me sentir engagée dans un projet constructif avec eux, avec elles, et peu à peu, ma vie a pris un autre sens. Après cette évaluation positive de mon activité dans le Centre, puis-je encore me retourner sur l’image de cette maladie d’enfance (mes rhumatismes articulaires aigus et mon souffle « systolique » — j’y tiens — au cœur) ?
L’image d’une enfant qui ne pouvait pas grandir, qui faisait « comme si », que la maladie avait sortie de l’oubli, avait fait survivre dans le silence. Mais c’est par le cancer de l’utérus que cette enfant (devenue adulte malgré elle) a poussé son premier cri... L’image de cette enfant sans identité, je ne parviens pas à la quitter, mais lettre après lettre, je lui apprends à écrire son nom : Claudine Menteau.